En 2013, Edward Snowden révélait l’ampleur de la surveillance de masse opérée par le gouvernement britannique. Saisie par Amnesty International et treize autres organisations de défense des droits de l’homme, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme va de nouveau examiner l’affaire, explique l’organisation humanitaire dans un communiqué publié le 11 février. Les quatorze organisations, dont Amnesty International, Liberty et Privacy International, demandent un arrêt définitif qui mettrait fin à « l’interception à grande échelle des communications ».
Le gouvernement britannique espionne chaque jour des millions de communications privées.
À notre demande, la plus haute instance européenne des droits de l’homme va enfin examiner l'affaire.
On continue ! ✊https://t.co/hCZYXHIIad
— Amnesty France (@amnestyfrance) February 13, 2019
« En septembre dernier, notre coalition d’ONG a remporté une victoire historique devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Au terme d’une bataille juridique de cinq années, les juges ont statué que le système de surveillance mis en place par le gouvernement britannique et révélé par le lanceur d’alerte Edward Snowden était illégal », rappelle l’organisation.
Un arrêt qui ne va toutefois pas assez loin
La Cour a conclu que ce système de surveillance violait le droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et le droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10. Cependant, l’arrêt de la Cour n’est pas allé assez loin concernant « l’illégalité des pouvoirs d’interception de masse » et les « lacunes fondamentales dans le partage entre Etats des renseignements fondés sur des communications interceptées », dénonce l’ONG. « Par conséquent, nous avons demandé à la Cour européenne de saisir sa plus haute instance judiciaire, la Grande Chambre. »
Surveillance #numérique de masse : Deux très importantes affaires viennent d'être renvoyées en Grande Chambre #CEDH.
En formation solennelle, la Cour de Strasbourg aura donc l'opportunité de revenir sur deux arrêts mitigés voire contestables rendus en 2018. pic.twitter.com/JjXVKlHlZ9
— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) February 5, 2019
L’affaire Snowden a commencé en 2013, lorsque l’informaticien américain Edward Snowden avait montré que le GCHQ britannique (Quartier général des communications gouvernementales) exerçait secrètement des opérations d’interception, de traitement et de stockage de données relevant de millions de communications privées de personnes, même lorsque celles-ci ne présentaient aucun intérêt particulier en matière de renseignement (programme TEMPORA). Le lanceur d’alerte avait également « révélé que le gouvernement avait accès à des communications et à des données collectées par l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) et par les services de renseignement d’autres pays », indique Amnesty, qui rappelle que toutes ces opérations se déroulaient dans le secret, sans que les citoyens n’en soient informés ni n’aient donné leur accord.
Or les informations recueillies et stockées par le gouvernement peuvent dévoiler les aspects les plus intimes de la vie privée d’une personne : « qui elle est, où elle va, avec qui elle est en contact, quels sites Internet elle visite, quelles sont ses opinions ». Une pratique scandaleuse pour les organismes de défense des droits humains.
Dans un premier temps, l’Investigatory Powers Tribunal (IPT) – la très secrète juridiction britannique chargée d’examiner les plaintes contre le GCHQ, le MI5 (services de contre-espionnage) et le MI6 (services de renseignement) – avait estimé que le partage d’informations des services de renseignement britanniques avec les Etats-Unis, régi par des dispositions juridiques secrètes, était illégal jusqu’à sa révélation. L’IPT avait également reconnu que les services de renseignement britanniques avaient illégalement espionné les communications d’Amnesty International et du Legal Resources Centre d’Afrique du Sud.
She was stationed in London. She knows about the MI6 plants & the wiretapping conducted by GCHQ. The head of GCHQ stepped down the day after 45 became potus. Just wait until the world learns just how much cooperation between GCHQ/CIA happens on the daily. Sovereignty is dead. https://t.co/JUI4aacXIY
— Wyatt (@SayWhenLA) February 14, 2019
Mais en 2014, il a conclu que ces pratiques pouvaient en principe être conformes aux obligations du Royaume-Uni en matière de droits humains. « C’est cette décision que notre coalition de 14 ONG a contesté devant la Cour européenne des droits de l’homme », précise Amnesty International.
Entre temps, la surveillance continue
Actuellement, le gouvernement britannique poursuit ses opérations destinées à intercepter des volumes « énormes » de flux sur Internet qui traversent ses frontières et de pouvoir accéder à de « vastes mines d’informations interceptées par le gouvernement américain ».
Espionner un grand nombre de personnes en l’absence de soupçons d’actes répréhensibles constitue une violation des droits de chacun à la vie privée et à la liberté d’expression, et ne saurait en aucun cas être légal, explique l’organisation humanitaire. « Nous avons besoin d’un système de surveillance ciblé et respectueux des droits, et non d’un système où chacun est traité comme un suspect alors qu’il vaque à ses occupations quotidiennes. De plus, du fait de la surveillance de masse, des organisations comme la nôtre ont bien du mal à faire leur travail en faveur des droits humains. Il est essentiel qu’elles puissent rechercher et recevoir des informations d’intérêt public émanant de leurs sources confidentielles, sans intrusion du gouvernement », lit-on sur le communiqué d’Amnesty International, qui précise aussi que cette affaire offre une occasion en or à la Cour européenne de réparer ces préjudices « pour de bon ».
N.B.