Au Salon du livre de Genève, l’écrivain congolais In Koli Jean Bofane et la géographe tunisienne Maha Abdelhamid ont débattu de la question du racisme au Maghreb.
Les débats sur la race et la discrimination raciale ont été au cœur du Salon africain qui s’est tenu dans le cadre du 33e Salon du livre de Genève, du mercredi 1er au dimanche 5 mai. Le Monde indique qu’au cours de ce salon, deux rencontres ont traité du thème de la race. Parmi elles, un échange entre l’écrivain congolais In Koli Jean Bofane (RDC) et la géographe tunisienne Maha Abdelhamid. « Ce dernier débat, qui faisait le lien entre passé de l’esclavage, identités africaines et actualité des migrations, a passionné le public », indique Le Monde.
LE RENDEZ-VOUS DES IDÉES. Au Salon du livre de Genève, l’écrivain congolais In Koli Jean Bofane et la géographe tunisienne Maha Abdelhamid ont échangé sur le racisme au Maghreb. https://t.co/D7g7Rm66am
— Le Monde Afrique (@LeMonde_Afrique) May 12, 2019
Le journal français explique que dans son roman La Belle de Casa (Actes sud, 2018), In Koli Jean Bofane traite des relations entre Marocains et migrants subsahariens à Casablanca, tandis que le racisme envers les Noirs en Tunisie a été l’objet d’un rapport d’enquête co-écrit par Maha Abdelhamid. Celle-ci, qui vit en France, a par ailleurs co-fondé la première association pour la défense des Noirs en Tunisie.
« Les flux de migrants ont choqué les Tunisiens »
Les Noirs de Tunisie proviennent en partie « d’un contexte esclavagiste qui a duré du XIIe au XIXe siècle », a rappelé l’universitaire. Mais tous n’étaient pas esclaves, certaines familles ayant migré en Tunisie pour étudier l’islam à la mosquée Zitouna de Tunis. Selon Maha Abdelhamid, l’esclavage est un « fait historique qui a été étouffé politiquement, conduisant les Noirs du Maghreb à évoluer dans les marges de la société. A tel point que personne, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, ne semble avoir conscience de leur existence », a-t-elle indiqué, citée par le quotidien français.
Pire, cette ignorance se retrouve chez les Tunisiens noirs eux-mêmes, a-t-elle encore précisé : « Dans les familles noires, on ne s’interroge pas sur une présence africaine. Nous sommes noirs, certes, mais nous sommes arabes, musulmans et beaucoup plus tournés vers la Méditerranée. J’ai une tante qui parle de l’Afrique subsaharienne comme d’un univers lointain. Elle me dit que nous sommes Tunisiens. » En effet, le président Bourguiba a beaucoup travaillé sur la « tunisianité », a-t-elle rappelé.
Marginalisation des Noirs Tunisiens : un fait persistant jusqu’à nos jours
« L’autre fait méconnu est que l’abolition de l’esclavage en Tunisie a eu lieu en 1846, soit très tôt par rapport au monde arabe et à la France, où elle n’est intervenue que deux ans plus tard », explique Le Monde. « Cependant, nuance Mme Abdelhamid, rien n’est prévu à l’époque pour intégrer les Noirs dans la société. D’où la marginalisation et la pauvreté de cette population, causes de la révolte des Tunisiens noirs au moment de la révolution de 2011. »
Le racisme a longtemps été nié par la gauche
Le racisme a par ailleurs longtemps été nié par la gauche en Tunisie, qui se contentait, dit la chercheuse, d’affirmer que les Noirs ont toujours été là et de nier l’existence du racisme. « Mais il y a des codes dans les sociétés d’Afrique du Nord qui font par exemple que certains postes clés ne sont pas accessibles aux Noirs, même si aucune loi ne le dit », a-t-elle ajouté.
Maha Abdelhamid se définit comme Africaine et Tunisienne. Une position « jugée inadmissible, y compris dans son milieu universitaire », souligne Le Monde. « En Tunisie, les gens se vivent comme détachés du reste du continent. Les flux de migration, mais aussi l’installation de la Banque africaine de développement à Tunis, de 2003 à 2014, avec l’arrivée d’Africains subsahariens pour y travailler, ont choqué la population. Ils avaient l’image d’Africains pauvres et ils voient arriver ces Noirs qui sont plus riches que les Tunisiens ! »
La lutte contre le racisme doit s’inscrire dans le champ universitaire
Maha Abdelhamid a rappelé les nombreuses agressions dont ont été victimes les Noirs, notamment autour des matchs de foot. « Le meurtre du président de l’association des Ivoiriens de Tunisie a créé un choc dans la société civile, qui s’est trouvée obligée de se présenter comme hostile au racisme. »
“Pour un simple téléphone il faut aller agresser jusqu’à tuer ?! C'est pas normal !” C'est le cri de désespoir d'Ivoirien·ne·s qui dénoncent le racisme derrière la mort de #FalikouCoulibaly, le président de l'Association des Ivoiriens en #Tunisie et poignardé à mort dans la rue. pic.twitter.com/4nY90U6Qp3
— AJ+ français (@ajplusfrancais) December 26, 2018
Si le 9 octobre 2018, une loi criminalisant les discriminations raciales a vu le jour, Maha Abdelhamid assure que la lutte ne doit pas pour autant cesser, les lois n’étant pas en mesure, seules, de transformer les mentalités. Ainsi, la militante estime que « la prochaine bataille devra se jouer sur le terrain de l’université, car, hormis les travaux remarquables de Salah Trabelsi et d’Inès Mrad Dali, la question des Noirs et de l’esclavage reste le parent pauvre dans la recherche en sciences sociales en Tunisie », a-t-elle encore dit.
Maha Abdelhamid a aussi souligné un phénomène important dans la société tunisienne : la banalisation de l’esclavage dans le langage populaire, ainsi que les expressions et les proverbes quotidiens. Ainsi, en arabe, on ne dit pas « Noir » mais « Oussif », qui désigne les esclaves domestiques. Elle cite enfin ce proverbe : « Bête le jour, belle la nuit », rappel que les esclaves étaient aussi exploitées sexuellement par leurs maîtres, souligne encore Le Monde.
N.B., avec Le Monde